[Entretien] Giorgio lapin (roi des malins)
Publié à 23h54 par Maître Lupin, Mario le Martien et La Plume sous Magie et illusionnisme, Mentalisme et hypnose, Sorties et divertissement
Pour notre tout premier entretien, notre choix s’est porté sur Giorgio, le charmentaliste dont le spectacle nous a tant plu. Une excellente surprise : il se révèle aussi charmant en vrai que sur scène ! Son ouverture et sa disponibilité nous ont permis d’aborder une multitude de sujets, des anciennes civilisations aux vannes des humoristes à la mode. Et nous avons enfin pu tester notre questionnaire anti-manipulation. Si vous ne devez lire qu’une chose, consultez donc ses 5 réponses en fin d’article !
C’est par un calme samedi après-midi que nous rencontrons Giorgio à la sortie d’une représentation de son spectacle pour enfants (un public idéal, selon lui : « ça se passe toujours bien, avec les enfants »). Il nous attend en compagnie de l’un de ses fidèles assistants. Magie pour enfants oblige, l’assistant en question n’est autre qu’une boule de poils aux longues oreilles, avide de carottes (« j’en ai d’autres », glisse malicieusement l’illusionniste).
Giorgio avait initialement répondu à notre demande d’entretien par email, avant que nous n’échangions quelques mots au téléphone. Conforme à son personnage, il cache beaucoup de finesse derrière son apparente simplicité. Humble et ouvert, il est tout à fait abordable. Sans doute la relation était-elle facilitée par la satisfaction du jeune homme à la lecture du court article que nous avons consacré à son spectacle. Estimant que nous avions vu juste, et précisément cerné l’effet qu’il recherchait, il nous a gratifiés d’éloges nourris. A supposer que ses louanges n’avaient pas pour seul but de nous amadouer, nous lui renvoyons le compliment : l’analyse est aisée lorsque les choses sont présentées de manière si directe et si limpide !
L’entretien qui s’ensuit, d’une durée d’une petite heure et demie, roule sur des sujets variés, sans suivre aucun plan établi à l’avance. Si bien que nous sommes un peu embêtés à l’heure d’en retranscrire le contenu : quelle forme choisir ? La décision est d’autant plus difficile qu’il s’est avéré que les questions qui nous importaient le plus, les seules que nous avions préparées, ont été assez vite balayées. Et nous souhaitions éviter les questions trop classiques (comment es-tu devenu mentaliste ? que faut-il faire pour le devenir ? ça fait quoi d’être marié à un mentaliste ?) – ou peut-être simplement les amener de façon plus subtile 😉
Notre interlocuteur, lui, n’hésite pourtant pas à se dévoiler, mais sans pour autant chercher à s’écouter parler : témoignant d’une profonde modestie, il conçoit de parler de lui-même « seulement si ça fait avancer le schmilblick » ! Décomplexé, il nous décrit très honnêtement ses aspirations, sa démarche et son métier – car c’est bien ainsi qu’il décrit son activité.
Voici donc le format finalement retenu : en partant du contenu noté pendant l’entretien, réordonné d’une façon un peu structurée, nous avons artificiellement redéfini les questions auxquelles Giorgio a répondu, en fin de compte (si le discours reproduit ici vous paraît décousu, sachez donc que c’est de notre faute !). Nous avons évidemment donné à Giorgio la possibilité de relire le texte, et de corriger les points qui s’éloignaient trop de sa pensée – ou qui en révélaient trop sur ses secrets.
Rappel utile, dans la lignée de notre dernier article :
- Ni vous (ni nous) ne sommes obligés de suivre nos interlocuteurs sur tout ce qu’ils disent, malgré tous les sentiments et le respect que nous pouvons avoir pour eux ou bien leur œuvre
- C’est une très bonne pratique que d’appliquer aux gens leur propre discours – et de voir par là même ce que cela révèle sur eux, personnellement, bien plus que sur les grandes vérités de l’Univers !
Maître Lupin : Quel parcours t’a conduit jusqu’aux planches du théâtre de Dix Heures ?
Je viens du monde de la radio, où j’ai été animateur pendant 10 ans. Il m’en est resté un biais : comme le blanc est interdit à la radio, il n’y a pas de temps mort dans mon spectacle, ni même de respiration. On me le dit souvent [NDLA : oui, et ça renforce encore le sentiment d’en avoir pour son argent !]. A une époque, j’ai aussi été coach en développement personnel et personnalité. Mais je n’ai pas du tout aimé : je me suis retrouvé à conseiller des dirigeants d’entreprises qui me demandaient de juger leurs employés afin de savoir qui virer ; une autre fois, ce sont des huissiers qui m’ont sollicité pour identifier des menteurs et des charlatans… Ce n’était pas fait pour moi.
Pendant toutes ces années, je me suis formé tout seul à la magie, en autodidacte. Je n’ai jamais eu de maître ou de guide. J’ai beaucoup lu, je me suis intéressé à pas mal de choses [NDLA : Giorgio ne rentre pas dans les détails, mais nous donne quand même quelques conseils de lecture]. Aujourd’hui encore, je fais tout tout seul. Je devrais sans doute faire plus de pub, m’entourer de gens qui m’aident, quelque part c’est ce que je veux, mais si je reste finalement tout seul, ce n’est sans doute pas pour rien.
Par rapport à d’autres mentalistes, j’ai le bénéfice de l’ancienneté. J’ai proposé un premier spectacle à l’été 2010, en choisissant de surfer sur le succès de la série Mentalist, qui en était à sa première saison. Rétrospectivement, c’était une bonne décision, mais je me suis retrouvé sur scène pendant la Coupe du monde de football, et je m’en souviens bien, parce que personne ne venait, la salle était vide, j’étais dégoûté ! [NDLA : pourtant, vu les résultats de l’équipe de France, nos compatriotes auraient franchement mieux fait d’encourager un jeune qui se battait vraiment pour bien faire, lui !]
J’étais à la Comédie Saint-Michel, et j’avais hérité d’un horaire pas terrible, à 22h45. Mais j’ai réussi à en faire quelque chose de bien : j’annonçais aux spectateurs une révélation sur le coup de minuit. En vrai, il n’y avait pas grand-chose de spécial à minuit, c’était nul, mais ce qui comptait, c’était d’avoir réussi à trouver une justification au fait que le spectacle ait lieu si tard. Ce qui pouvait paraître pour un point faible devenait une force.
Bref, j’ai vu le spectacle de Giorgio
Kheiron et d’autres membres du Jamel Comedy Club sont passés me voir, et ils ont bien aimé mes blagues. Alors quand je leur ai demandé si jouer au théâtre de Dix Heures était envisageable pour moi, ils m’ont dit que j’y avais tout à fait ma place ! Là, ça m’a complètement décomplexé sur les vannes. Parce que, quand je les vois, je comprends qu’il est possible d’aller bien plus loin que ce que moi je fais !
Un autre domaine sur lequel on m’a beaucoup appris et décomplexé, c’est le jeu de scène. Je tiens à remercier Lucile Jaillant, qui en tant que metteur en scène m’a énormément apporté. Maintenant, je fais 3 ou 4 représentations par semaine de Mental Expert, et encore 3 autres représentations pour les enfants. Pendant les vacances scolaires, ça peut monter à 10 par semaine. Comme tu l’as dit, je suis un stakhanoviste ! Et pourtant, on ne doit jamais avoir l’air blasé. Il faut savoir donner l’impression qu’on fait tout comme si c’était la première fois. Même les vannes !
ML : Comment définirais-tu le mentalisme ?
Le mentalisme est un art de divertissement : c’est de la magie sans manipulation (où manipulation est à prendre au sens de « prestidigitation », c’est-à-dire de manipulation d’objets physiques). Il existe deux manières de faire du mentalisme : de façon sombre, comme on a tous appris, en jouant sur l’idée d’un savoir mystérieux qui fait un peu peur, ou en partant de ce que les gens attendent. Or, en m’intéressant aux envies des spectateurs, je me suis rendu compte de 3 choses. D’abord, les gens n’ont pas envie d’avoir peur : ils sont là pour se divertir. D’où mon rejet de la noirceur sur laquelle jouent d’autres mentalistes. Je préfère quelque chose de léger, et qui fasse rire. L’avantage de l’humour, aussi, c’est que si tu te trompes, c’est pas grave.
Ensuite, les gens n’ont pas envie d’être pris de haut : la performance doit rester un amusement pour eux, et non un concours de qui est le plus intelligent. En France, nous sommes de vrais cartésiens, mais cette attitude cache en fait, en réaction, quelque chose d’une envie de suspension de l’incrédulité. C’est la troisième idée sur laquelle je joue, cette tendance à se dire « j’y crois pas mais j’aimerais y croire », surtout chez les femmes. Un peu comme des enfants, les gens rêvent en réalité de l’existence d’un autre moyen de communication : ils aimeraient que les autres puissent deviner leurs envies, sans qu’ils aient besoin de les formuler. On me dit souvent que ça doit être ennuyeux d’être marié à un mentaliste, parce qu’il peut tout le temps savoir quand on ment, ce qu’on veut, comment on se sent, etc. Malgré leur côté cartésien, ça prouve bien que les gens y croient quand même, ce qui révèle au fond un besoin.
ML : Est-ce à dire que tu n’as aucun pouvoir « extraordinaire » ?
Comme je l’ai laissé entendre, le mentalisme n’est qu’une branche de l’illusion. Et l’inconvénient de faire un spectacle d’une heure, c’est l’obligation de résultat. Les soixante minutes doivent être bien tenues. Du coup, tout est cadré : j’utilise en gros 90% de trucages, pour seulement 10% de techniques plus douces reposant sur ma sensibilité.
Si j’avais plus de temps, j’essaierais plus de trucs. Je suis un peu frustré, j’ai vraiment envie d’un spectacle plus long pour jouer avec des choses touchant davantage à l’hypnose, la psychométrie, la psycho-anatomie…
ML : Sur internet, on peut par exemple écouter les décryptages de personnalité que tu fais à la radio, sur Ado FM. Y utilises-tu quelque chose de plus que de la simple lecture à froid ?
C’est de la lecture à froid, mais c’est de la lecture à froid personnelle. Je peux faire une démonstration. [NDLA : sans que nous ayons le temps de comprendre ce qui nous arrive, Giorgio se lance dans une analyse de notre personnalité. Évidemment, il a consulté notre blog, ce qui lui a largement donné de quoi se faire une opinion sur nous. Ses descriptions sonnent juste, même les moins positives – bref, il fait mouche, mais sans que nous ne prenions la mouche ! Il en profite pour tenter un exercice audacieux : nous prenant le bras, il essaye de deviner l’un de nos désirs. Le résultat n’est pas concluant, mais lui-même annonce seulement 20% de réussite en moyenne…]
Sur scène, les gens n’aiment pas se faire décrypter. Devant les autres, ils diront que ce que nous décrivons d’eux est faux, même s’ils viennent nous voir en cachette après coup pour nous avouer que nous avions totalement raison ! Mais à la radio, parce que le format fait que les gens sont moins exposés, on atteint les 98% de validation. Il faut aussi retenir que lorsque tu apportes quelque chose de positif, tu seras vu comme quelqu’un de bon. Si tu dis des choses négatives, les gens ne t’aimeront pas, et te trouveront mauvais.
J’en profite pour ajouter que l’émission de radio à laquelle je participe sur Ado FM, et qui est animée par Bob, un bon ami à moi, est un programme de qualité, qui sait aborder de grands sujets. Une preuve qu’on peut faire des programmes intelligents pour un public d’ados.
ML : Comment as-tu développé tes techniques, par exemple cette lecture à froid personnelle dont tu parles ?
D’abord, il faut commencer par développer sa connaissance de soi. Il faut partir d’une véritable introspection, en étant prêt à voir tout ce qu’il y a en nous, le bon comme le mauvais. Par exemple, tout ce que vous n’aimez pas chez les autres révèle des choses sur vous : au fond, c’est quelque chose en vous que vous n’aimez pas, et que ces autres personnes vous rappellent.
Ensuite, on peut se renseigner sur les typologies de personnes ou de traits de personnalité les plus communément établies, comme par exemple les 7 catégories de Platon, les métaprogrammes de la PNL, etc. Et puis après, la connaissance des gens, on l’acquiert par l’expérience : on construit ses propres typologies de personnalité à force d’être confronté aux individus. On note des similarités entre les comportements, et ça permet de se constituer ses propres listes.
C’est pour ça qu’un mentaliste de 20 ans, moi, j’y crois pas. Il ne peut pas être un bon mentaliste, il n’a juste pas vu et vécu assez. Il faut avoir vraiment rencontré et connu un vaste échantillon de personnes. Ce qui est important, aussi, c’est de partir de la relation à l’autre, de l’amour pour les gens. On ne peut pas apprendre toutes les techniques dans les bouquins, se décréter mentaliste puis chercher à appliquer ses trucs sur les gens. Ça ne paraîtra pas naturel. Ça marche en fait dans l’autre sens : il faut d’abord aimer et s’intéresser véritablement aux gens avant de pouvoir développer ses techniques de mentalisme et se déclarer mentaliste.
Giorgio n’a plus qu’à investir dans un jeu de tarot, et sa fortune est faite
ML : En quoi ta connaissance et ta compréhension de la psychologie humaine ont-elles principalement progressé ?
J’ai appris que nous sommes à la fois tous différents et tous pareils. Il y a de nombreuses choses pour lesquelles nous fonctionnons tous de la même façon. Par exemple, on a tous envie de parler de nous ! Dans mon spectacle, je sais par exemple quel nombre et quelle couleur seront choisis par une grande majorité des spectateurs dans le cadre des choix proposés. [NDLA : Giorgio nous précise lesquels, mais nous allons garder ça pour nous, héhéhé 😉 !] L’intérêt de faire autant de représentations, c’est aussi d’apprendre peu à peu tout ça !
Si vraiment tu cherchais à manipuler les gens, le mieux, pour pouvoir le faire, c’est de connaître leurs intérêts. A partir du moment où tu sais ce qui leur plaît, tu sais les comment les guider et les amener où tu veux.
ML : Alors si ton but à toi n’est pas de manipuler les gens, à quoi aspires-tu, par-delà tes spectacles ?
J’ai voulu plein de choses au cours de ma vie : devenir une super star, faire tout ce que je pouvais pour les enfants… Désormais, j’espère un jour pouvoir soigner les gens par la parole. Je n’ai jamais dit ça à personne ! Mais maintenant je sens que je peux le dire : j’aimerais pouvoir guérir les autres par la parole. J’ai commencé à travailler avec des bipolaires, des dépressifs, etc.
D’une manière générale, je reste convaincu que la meilleure chose est d’apprendre à s’améliorer, et d’être toujours en train d’avancer. Moi, je ne me vois pas comme un spécialiste. Je n’ai pas du tout envie d’écrire sur le mentalisme, par exemple : mon savoir n’est pas figé. De toute façon, je ne veux pas être tributaire de la technique. Je suis un très bon synthétiseur, je veux rester dans la création et l’innovation.
Par exemple, je suis très à l’écoute de ce qu’il se passe dans le domaine scientifique, mais aussi de l’ésotérique et du mystique [NDLA : à une femme qui vient nous parler, parce qu’elle a entendu un bout de notre conversation qui l’intriguait, il n’hésite pas à dire qu’il « travaille sur les phénomènes paranormaux »]. Je m’intéresse beaucoup aux anciennes civilisations [NDLA : il nous a conseillé un documentaire, qui ne nous a pas grandement impressionné, mais dont nous vous parlerons bientôt]. Je pense que les anciens savaient des choses, et que nous ne sommes pas loin de découvrir de nouvelles choses, pour autant qu’on ne se ferme pas de portes.
Le Talmud dit que partout où tu regardes, il y a des choses à apprendre. Une autre citation que j’aime dit qu’il faut vivre chaque jour comme si c’était le dernier, mais en cherchant à apprendre comme si on n’allait jamais mourir. Il faut rester à l’écoute.
1. Utilises-tu dans ta vie quotidienne certains des trucs appris dans le cadre de ton activité ?
Non, car j’ai une éthique et je ne veux pas influencer les gens à prendre une décision qui irait à l’encontre de leurs envies, hors cadre professionnel bien entendu. Si je suis aussi honnête dans la vie, c’est peut-être aussi parce que je suis aussi manipulateur dans mon spectacle.
2. Les savoirs que tu as accumulés t’ont-ils permis de développer ton esprit critique, ou t’ont-ils rendu plus sceptique, et si oui en quoi ?
Mon maigre savoir me prouve que je sais que je ne sais pas (pour reprendre une formule philosophique). Je suis très critique vis-à-vis de beaucoup de choses mais surtout par rapport à moi-même.
3. Dans la façon dont se comportent certaines catégories de personnes ou de « performers » (artistes ou politiciens, vendeurs, séducteurs etc.), reconnais-tu l’emploi de certaines techniques auxquelles tu t’es intéressé, notamment sur les plans de la communication, de l’influence et de la manipulation ?
Les people ont tous un conseiller en communication, mais le langage du corps est quelque chose de très dur à assimiler et contrôler consciemment, parce que c’est un réflexe comportemental de notre climat mental, et ce depuis des millions d’années. Aujourd’hui, personne ne le maîtrise vraiment, et les utilisateurs de ces techniques de comportement sont instinctivement démasqués. C’est pour cela qu’on aime autant le naturel, car on peut facilement déceler le faux chez une personne.
4. Comment te positionnes-tu vis-à-vis des individus qui affirment disposer de pouvoirs paranormaux (ou qui se disent « vrais » mentalistes, par exemple) ?
Je ne juge personne et j’écoute si je le peux tout le monde. Aujourd’hui, la télépathie et les autres formes de psychophysique ne sont qu’à l’aube de leurs promesses. Il faut synthétiser tout ce qu’on apprend ou qu’on entend pour se faire sa propre opinion. Je crois aux pouvoirs paranormaux étayés par de solides techniques (cf. le remote viewing).
5. Quels conseils nous donnerais-tu pour éviter d’être manipulés et renforcer nos capacités d’auto-défense intellectuelle ?
Pour éviter d’être manipulé, il faut écouter son instinct. La capacité à être alerté par le langage du corps et à décoder les gestes de l’autre est quelque chose que nous avons en nous. Lorsqu’on se trompe, c’est souvent qu’on a décidé de faire prévaloir la raison sur le cœur.
Giorgio, merci infiniment de t’être prêté de bonne grâce à notre petit jeu !
Auteurs : Maître Lupin, Mario le Martien et La Plume
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