27 Sep 2016

On peut mentir mille fois à mille personnes (2/2)

Publié à 20h51 par et sous Croyances et dogmes, Esprit critique, Scepticisme et zététique

Suite de nos réflexions sur un sujet actuel : la vérité, ça intéresse encore quelqu’un ? Première partie ici (et version ironique ). Nous vous avons quitté sur l’idée qu’il fallait se méfier des grands blonds avec des chaussures brunes, mais aussi des bonnes bouilles chauves au bouc poilu, qui rêvent sans doute un peu trop de gloire et de célébrité… Des personnages dont nous souhaitons maintenant vous parler.


Parce que les chasseurs de fantômes ne sont évidemment pas les seuls à nous offrir de beaux spécimens de foutage de gueule, dans ce monde étonnant des mystico-conspi…

1. Toute la véritude, rien que la véritude

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Pourtant, depuis quelques jours, Pooyard n’arrête pas de dire qu’il savait pas, lui…

L’un des lieux de référence de cette sphère internet-là, en France, désormais, c’est la web TV/radio de Bruno Bellanca, dit “Bob” : Bob vous dit toute la vérité (BTLV). Bob, à 50 ans, est l’éternel grand frère des ados ; il semble n’avoir jamais voulu quitter ce rôle qu’il avait déjà il y a 25 ans sur Skyrock puis Fun Radio… En 2012-2013, il anime sur Ado FM une émission “Bob vous dit toute la vérité”, qui ne sera pas reconduite, pour des raisons que lui décrit, forcément sans en apporter la preuve, comme de la censure (les responsables d’Ado FM parlent plutôt d’un manque de rentabilité… mais, bon, puisque Bob nous “dit toute la vérité” – enfin, déjà pas sur son prénom lol -, on va le croire sur parole, bien sûr).

Bob nous joue sa victime et décide de tenter l’aventure de l’appel aux dons pour décliner son concept en plateforme web. Sommes-nous en droit de penser qu’au lieu de s’arrêter à temps, celui qui n’avait apparemment aucun intérêt pour le paranormal (et ne croirait même pas à l’hypothèse des Bâtisseurs) a effectivement trouvé le filon, vu qu’il y avait beaucoup d’argent à se faire, et décidé de se jeter corps et âme dans le business de l’occulte ?

Dans la lignée d’un Alex Jones qui, de l’autre côté de l’Atlantique, donne la parole à tout ce que la scène anglo-saxonne compte d’illuminés et de théoriciens du complot, Bob semble avoir conclu que c’est exactement ce qu’il manquait à notre pays à l’heure actuelle pour aller mieux : une plateforme où servir la soupe aux farfelus dont les élucubrations abracadabrantesques savent trouver un écho auprès d’individus à la paresse intellectuelle coupable (et, on l’espère, d’un grand nombre de rigolards qui voient tout cela comme une vaste farce, mais acceptent quand même de la financer avec gourmandise).

Rien que le titre de la chaîne doit allumer suffisamment de signaux d’alerte dans votre esprit pour que vous preniez tout ce qui s’y passe pour une gigantesque mascarade ; on sait à quel point le mot “vérité” est brandi comme un étendard par tous ceux qui relaient les idées les plus improbables… Alors que, chez les sceptiques, à l’inverse, on vous parlera plus volontiers de dénonciation des mensonges, sans vous livrer sur un plateau d’argent une vérité toute prête à avaler.

J’offre le seul espace médiatique où l’on peut parler de tout sans avoir peur de la raillerie.”

Bob (source)

En un sens, si Bob est le seul modèle d’intervieweur auxquels sont confrontés les mystico-conspi, on peut tout à fait comprendre qu’ils prennent les journalistes pour des laquais du pouvoir, incapables de rentrer dans le lard de ceux qu’ils questionnent : quelles que soient les personnes en face de lui, quelle que soit l’incompatibilité entre toutes les théories absurdes mises en avant par la kyrielle d’intervenants (il y a tellement d’opinions alternatives et contradictoires que tout ne pourrait pas être vrai en même temps), Bob semble systématiquement aller dans le sens de celui qui parle, sans remettre en question ce qu’il dit ou, n’y pensez pas, demander des preuves, des sources ou des références. Un peu comme avec son public, peut-être, finalement : est-il là pour inciter au questionnement, à la critique et à l’interrogation, ou pour donner à entendre ce qu’on veut bien entendre ?

Voyez par exemple l’épisode fameux de l’accusation lancée par Jacques Grimault contre l’équipe de La Tronche en biais après le live qu’ils avaient organisé : d’après l'”informateur” de La Révélation des pyramides, l’émission aurait été diffusée avec un décalage de 48 minutes (qui aurait techniquement servi à maquiller quoi, on ne saura pas, hein, ce qui compte, c’est uniquement de jeter la suspicion, pas de mettre le doigt sur quelque chose de précis qu’ils auraient caché ou truqué – et pour cause…). Comment croyez-vous que Bob l’éponge à mensonges réagit en direct à cette accusation grave lancée face à lui 🙂 ?

Si même Jacques Grimault dénonce son manque de déontologie, après avoir été reçu dans son émission à de si nombreuses reprises (et même sous la forme d’un mystérieux M. X, comme il l’aura lui-même avoué), c’est un comble !

Enfin, que Bob le racoleur tente de se justifier de ne pas chercher le buzz ni contribuer à la propagation des théories du complot, c’est quand même particulièrement fort de café…

Pour plus d’informations, ne manquez pas cet article édifiant, tout à fait indispensable, sur le parcours de Bob, son désir de notoriété et sa démarche de businessman décomplexé.

2. La révélation des pires amis

La Révélation des pyramides (LRDP) aussi a connu son 11-Septembre (sauf que c’était le 12). Pooyard et Grimault, les auteurs du fameux documentaire LRDP, dont nous vous parlions il y a quatre ans déjà (bigre, ça ne nous rajeunit pas !), se font maintenant la tronche (pas en biais). Résumé ultra-concis (encore une fois, c’est Thomas/Acermendax de La Tronche en biais qui en parle le mieux) : Pooyard accuse Grimault de vouloir contrôler à l’excès le projet de réalisation de l’opus 2 de LRDP et de l’empêcher d’avancer comme il le souhaite ; au nom de l’engagement qu’il dit avoir vis-à-vis des ululeurs ayant financé ce deuxième documentaire de la série, il acte publiquement sa séparation d’avec Jacques, dans le cadre d’un live exceptionnel de BTLV, afin de reprendre toute sa liberté dans la réalisation.

Depuis deux semaines, le feuilleton est trépidant, avec des épisodes quasi-quotidiens, marqués par les billets et les interventions filmées des uns et des autres (Pooyard, Grimault, Adrien Moisson le producteur, Bob, etc.). Un feuilleton bien plus excitant que celui de l’été sur le burkini, qui nous ramène aux grandes heures de Dallas, d’Amour, gloire et beauté et des Feux de l’amour. Luttes d’égos, trahisons, retournements de veste, accusations diffamatoires ; le monde des mystico-conspi est apparemment un milieu sain, plein de personnes équilibrées qui donnent vraiment envie d’être côtoyées de plus près…

Chez les sceptiques, on en rigole beaucoup. Forcément. Parce que, à nouveau, des éléments que nous dénonçons depuis des années se voient enfin confirmés par les principaux protagonistes : mensonges, falsifications, non-vérification des faits présentés, prétentions exagérées, emprunts à des auteurs non crédités, fonctionnement sectaire (le producteur lui-même a publiquement qualifié Grimault de gourou !), chantage et intimidations… La liste est longue, c’est un festival, les accusations pleuvent des deux côtés. De là à penser que, depuis le début, la bonne approche était d’écouter les sceptiques plutôt que les adeptes…

Avec donc deux différences majeures par rapport à l’affaire GussDx :

  • Ici, deux personnes sont en jeu, et non une seule, ce qui permet à chacun des membres du couple de lancer des accusations et faire porter la responsabilité sur l’autre
  • De fait, la prise de parole qui a cette fois-ci déclenché l’orage n’a pas été l’aveu de l’un des acteurs relativement à ses propres erreurs (sans même parler d’excuses à son public, et encore moins à ses détracteurs, ce que GussDx s’était bien gardé de faire lui-même, au demeurant…), mais une accusation portée par l’un, Pooyard, contre l’autre, Grimault ; plus largement, aucun des deux ne semble prêt à étaler ses propres errances, mensonges et omissions

(Au passage, plus personne ne semble vraiment s’intéresser à la question de la fin du monde, que le message des fameux Bâtisseurs était soi-disant censé pouvoir nous permettre d’éviter… Les acteurs du conflit sont trop pris par leurs querelles d’égo et le partage des 190 000 euros de financement Ulule pour s’attarder sur les moyens de sauver l’humanité. On n’en voudra pas à ceux qui pensent que la prophétie alarmiste n’était donc qu’un artifice de scénarisation pour nous tenir en haleine, un compte à rebours qui fait bien peur pour attirer l’attention et pousser les gens à l’action – sonnante et trébuchante.)

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Après le Bon, le Beau, le Vrai et le Juste, le Pas Bon, le Laid, le Faux et l’Injuste

Situation largement prédite dès le départ, qui ne pouvait manquer de faire naître chez nous autres observateurs du conflit une vive interrogation : les soutiens de LRDP allaient-il choisir de se désolidariser des deux personnages, ou bien décider d’en lâcher un et se liguer derrière l’autre – et si oui lequel ?

Car comment – mais surtout, à nos yeux, pourquoi – en croire un plutôt que l’autre ? S’ils se tenaient tous les deux par la barbichette (le bouc d’un côté, la crinière de l’autre), pourquoi l’un réussirait-il à tirer son épingle du jeu ?

C’était sans compter la rationalisation qui, comme dans l’affaire GussDx, permet de se raccrocher aux branches en s’inventant une version de l’histoire faisant fi de toute notion de faits et de réalité. Le public a tranché : si l’on en juge à la répartition des commentaires entre soutiens à Patrice Pooyard et soutiens à Jacques Grimault, une proportion écrasante de suiveurs a préféré se ranger derrière Patrice. Au prix, s’il le faut, de sacrés retournements de veste, de déclarations type “je le savais” (ah bon, alors pourquoi tu crachais sur les sceptiques qui eux ne faisaient pas que le penser mais le disaient ?) et d’explications hautement crédibles, en mode “j’étais un infiltré, je voulais voir comment ça fonctionnait de l’intérieur” (en termes de crédibilité, il est vrai qu’ils avaient été à bonne école).

Pourquoi ? Mais pourquoi ?

Que Grimault soit de plus en plus répulsif ne nous étonne guère ; son intervention lamentable chez La Tronche en biais a fini de discréditer un “chercheur” à l’égo surdimensionné, incapable de répondre aux critiques par autre chose que l’insulte et le louvoiement.

Mais comment pouvez-vous aussi facilement croire que Pooyard, lui-même, n’a été que le dindon d’une sombre farce ? Et, s’il l’a été, en quoi est-ce que ce serait vraiment rassurant ?

Car nous avons quand même affaire à un gars qui :

  • prétend connaître Grimault depuis 17 ans et a réalisé plusieurs documentaires avec lui – peut-il découvrir aujourd’hui seulement qu’il n’est pas tout blanc ?
  • a assisté à nombre de ses conférences et dit avoir vu ses livres – n’a-t-il trouvé à redire à leur contenu exagéré ou mensonger que depuis deux semaines ?
  • affirme avoir tout vérifié des propos de Grimault – mais découvre seulement maintenant ses inventions et ses emprunts à d’autres chercheurs ?
  • a soutenu Grimault et ses idées depuis qu’on en parle sur internet – alors qu’il le décrit maintenant comme un faussaire et un affabulateur ?
  • va remplacer Grimault au pied levé dans la tournée de conférences déjà prévue – avec quel contenu et quelles idées, celles dont il dit découvrir maintenant qu’elles ne sont pas basées sur grand-chose ?

Savait-il déjà que Grimault n’était pas tout blanc, ou ne savait-il pas ? S’il savait, pourquoi ne pas en avoir fait mention plus tôt ? Ce manque de transparence est-il de bon augure ? Est-ce à dire qu’il cautionnait quand même son travail ? Que si Grimault n’avait pas eu ses nouvelles exigences disproportionnées, nous n’aurions jamais entendu parler des doutes de Pooyard à son encontre ?

Et s’il ne savait pas, comment a-t-il pu l’ignorer, avec la masse d’articles et de vidéos produites par les sceptiques pour décortiquer tant d’aspects du film, des livres et des conférences de son compère ?

Donc, de deux choses l’une :

  • Soit Pooyard savait beaucoup de choses peu reluisantes, et se gardait bien de dire ce qu’il savait, attendant le moment de cramer le fusible en place publique, quand il deviendrait trop gênant (hypothèse de la malhonnêteté)
  • Soit il ne savait pas, auquel cas on peut sérieusement douter de ses capacités de recherche (hypothèse de l’incompétence). Capacités qui se limitent visiblement à la lecture de textes de moins de 3 paragraphes, puisqu’on n’aura jamais vu beaucoup de ses réponses aux articles d’Irna, par exemple (“pas le temps”). Alors qu’à l’inverse, attaqué par le Nettoyeur de mythes, pour commettre une vidéo de réponse qui ne répond à rien, là il a le temps…

Pour contribuer à vos réflexions, considérez s’il vous plaît l’affaire Guy Trédaniel, l’éditeur qui était censé publier le livre de Grimault il y a des années, et qui avait affirmé par téléphone aux intervieweurs de la Tronche en biais (fin janvier 2016) avoir payé une avance à l’auteur sans jamais recevoir de manuscrit… Voyez donc quelle nouvelle “révélation” Pooyard lui-même vient d’avoir, dans un message aux ululeurs de son projet :

“Une info donnée lors du calamiteux débat de la Tronche en Biais me revient alors brutalement à l’esprit, et je me réveille un matin de cette fin du mois d’août avec l’idée d’appeler Guy Trédaniel.
Sa réponse est sans appel. S’il n’a pas publié LA RÉVÉLATION DES PYRAMIDES, le livre de Jacques, c’est parce jamais aucun manuscrit ne lui a été remis malgré l’avance qui lui a été faite. Électrochoc.
Pourquoi Jacques a-t-il donné une autre version ?”

Non mais c’est ça qu’il appelle vérifier ? On croit rêver ! Faire plus de 6 mois après une interview ce que La Tronche en biais a eu l’idée de faire en 3 minutes (à savoir décrocher son téléphone), alors que lui-même prétend côtoyer Grimault depuis 17 ans ? Mais quel genre d’enquêteur est-ce là ? Vous faites vraiment confiance à un gars comme ça pour la découverte d’une vérité alternative ? Je le veux pas dans l’équipe dédiée à l’affaire Kennedy, sinon on en a pour encore deux ou trois cycles précessionnels avant d’avancer d’un pouce !

Non, sérieusement, si Pooyard est capable de côtoyer et soutenir un menteur pendant des années, sans se poser de questions sur ce qu’il prétend, on peut a minima, s’il en était encore besoin, douter de sa capacité à vérifier QUOI QUE CE SOIT. Et, du coup, quel est l’intérêt de ses “recherches” ?

Alors, malhonnêteté ou incompétence ? Incapacité de Pooyard l’Œil-qui-voit-rien à faire un travail de recherche avec méthode (comme en science, si seulement il était scientifique…), ou volonté de s’engraisser sur le dos de la bête le plus longtemps possible avant de prendre son envol tout seul quand la bête commence à sentir vraiment trop mauvais ?

D’autres, dans la même situation, ont tranché :

J’ai le choix entre passer pour quelqu’un de malhonnête ou d’incompétent, qui ne sait pas ce qui s’est passé dans ses usines, j’assume cette seconde version.”

Arnaud Lagardère, accusé de délit d’initié après la revente d’actions EADS (source)

Quelle version choisira Patrice Pouillard ? Et, dans les deux cas… En quoi mérite-t-il encore d’être suivi ?

Conclusion

Pour conclure, voici les questions que nous souhaitons soumettre à votre réflexion :

  • Si vous ne vous respectez pas, êtes-vous audible quand vous vous plaignez qu’on ne vous respecte pas ? Si vous ne vous offusquez pas davantage si l’on vous ment maintenant, pensez-vous vraiment que vous serez pris au sérieux lorsque vous vous indignerez d’un autre mensonge la prochaine fois ? Que pensez-vous que votre pardon spontané, face à des excuses faiblardes, va encourager comme comportement chez ceux qui vous ont menti sans honte ?
  • Si l’on vous a menti, vaut-il mieux pardonner tout de suite pour passer à autre chose le plus vite possible, ou remettre en question une manière d’interagir ou de fonctionner, et mettre en place des moyens pour sanctionner le comportement fautif et/ou s’assurer que ça ne se reproduise pas et/ou diminuer l’impact du mensonge sur vous la prochaine fois ? Si l’on a trahi votre confiance, comment l’accorder à nouveau ? Qu’exiger de plus ? (Ne pas renforcer les contrôles et les exigences, c’est faire comme avec les banques post-crise de 2008 : ouvrir la voie à se refaire avoir dans des conditions similaires la prochaine fois… S’il n’y a aucune apprentissage, si nous ne retenons rien de nos erreurs, si nous n’imposons pas un changement de méthode, pouvons-nous décemment espérer autre chose que… le fait que les mêmes causes produisent les mêmes effets ?)

Nous ne pouvons que vous encourager à la méfiance, mais une méfiance méthodique : comme toujours, nous prônons ici un doute sain, qui se nourrit de faits et de preuves. On ne veut pas “ne pas croire” pour le plaisir de “ne pas croire” ; nous voulons des éléments pour croire, voilà tout, et c’est à celui qui veut nous convaincre de nous les apporter et de créer les conditions de la confiance.

Auteurs : et

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