On peut mentir mille fois à mille personnes (1/2)
Publié à 16h00 par Maître Lupin sous Croyances et dogmes, Esprit critique, Scepticisme et zététique
Est-ce que la vérité compte encore ? Concours de mauvaise foi en politique, dopage dans le sport de haut niveau, affaire GussDx et clash Pooyard-Grimault… Ces derniers mois ont vu exploser le nombre de révélations de mensonges éhontés (pas le nombre réel de mensonges, que nous ignorons forcément, mais bien le nombre de mensonges avérés). Par-delà l’étonnement ressenti (ou non) lors de ces expositions publiques, nous avons été profondément décontenancés par les réactions d’un public particulier : ceux qui défendaient ou suivaient aveuglément jusqu’alors des individus dont les esprits les plus éclairés dénonçaient depuis longtemps les agissements. Or qu’observe-t-on une fois la vérité révélée ? Comment réagissent les fans lorsque la vérité les éclabousse ? La réponse nous a choqué… et motivé notre coup de gueule sarcastique de la dernière fois, sur lequel nous souhaitons revenir ici sans ironie.
1. Chasseur de fantasmes… enfin, euh, non, de fantômes
C’est l’affaire GussDx qui nous a donné un premier électro-choc, et poussé à écrire sur le sujet. Résumé ultra-concis de l’histoire (compte-rendu plus complet chez les amis de La Tronche en biais), pour ceux qui n’en auraient pas entendu parler (sans mention de la complicité de Samuel Buisseret, qui est un autre débat…) : un « chasseur de fantômes » auto-proclamé, GussDx, dont la chaîne YouTube diffusait les enquêtes filmées sur les traces des supposés ectoplasmes de lieux soi-disant hantés, était accusé d’avoir truqué l’un de ses reportages (celui sur la Tour Moncade, “analysé” par Mr. Sam ici), l’un des seuls où un évènement réellement inexpliqué semblait avoir été filmé en direct.
Moult sceptiques criaient évidemment à la supercherie et au montage. Il faudra attendre juillet 2016 pour qu’une vidéo de déboulonnage vienne pointer le trucage de façon si convaincante que GussDx se sente contraint de révéler avoir menti pendant des mois. (Enfin, menti, pourri ses détracteurs et craché sur ceux qui l’accusaient de mentir, bien sûr, mais ses aveux publics larmoyants ne sont pas allés jusqu’à la demande de pardon vis-à-vis des personnes honorables qu’il aura traînées dans la boue pour sa seule gloire à lui…).
Or, que croyez-vous qu’il arriva ? Comment les plus de 400 000 fans de la chaîne YouTube (gratuite) de GussDx, et surtout les milliers de clients payants de son petit commerce, auront-ils réagi à cette révélation ?
Nous ne savons pas exactement quelle a été la distribution statistique des réactions de son public, combien ont été si déçus qu’ils ont décidé de ne plus jamais le suivre, combien se sont dits que c’était un sale coup mais pas si grave, combien s’en foutaient royalement… Tout ce que nous savons, c’est que le nombre d’abonnés de la chaîne n’a pas significativement diminué (s’il a même jamais diminué…), et que, dans les avis exprimés dans les commentaires de ses vidéos (dont nous ne saurions affirmer qu’ils sont représentatifs de l’opinion générale), la proportion des messages exprimant la volonté de lui pardonner et de continuer à le soutenir était écrasante.
En clair : un nombre considérable de fans (la plupart ?) se disaient prêts à passer l’éponge, à dire que, oui, c’était pas cool, ça ne se fait pas, mais ses explications étaient convaincantes, il avait de bonnes raisons (pression du public, situation familiale et financière difficile…), on pouvait lui pardonner cette fois-ci si ça ne se reproduisait pas.
À coup d’arguments moisis, comme par exemple :
- « Y a pas mort d’homme » : ah, ce n’est que lorsqu’il y a mort d’homme qu’une action peut être considérée problématique ? Ça va en faire beaucoup moins, d’un coup, tant mieux
- « Faute avouée est à moitié pardonnée » : cette sous-forme d’argument d’autorité qu’est le proverbe (représentant une forme de « sagesse populaire », on imagine) a-t-il une quelconque valeur ? Surtout que les aveux ne sont pas venus tout seuls, mais suite à une démonstration accablante, quand tenir le mensonge n’était plus possible (à la Cahuzac / Lance Armstrong)
- « Qu’auriez-vous fait à sa place ? » : heureusement que la justice ne formule pas les questions comme ça ! S’il y a des lois, et des règles et des principes, c’est bien pour que la réaction spontanée individuelle ne soit pas forcément considérée comme la norme… Et, d’ailleurs, on espère qu’une situation familiale ou financière difficile ne suffit pas à excuser les mensonges, sinon on a une bonne excuse à proposer à tous les escrocs et charlatans (anti-vaccins, pyramidologues, etc.). Et même aux hommes politiques. Bah oui. Si on l’accepte pour un chasseur de fantômes, pourquoi on l’accepterait pas pour tout le monde ?
Nous n’avons honnêtement pas compris comment les gens pouvaient lui passer ça. Certains n’ont même pas hésité à transformer son excuse du “j’avais une pression du résultat” en un “c’est le public qui lui en demandait trop”, comme si son propre public était responsable, à en vouloir toujours plus, puisque certains se plaignaient de ne pas voir grand-chose de bien paranormal dans les vidéos précédentes ! Où commence la responsabilité personnelle ? Où est la capacité à soi-même dire stop ? Quel genre de comportement ou de pratique peut-on justifier avec ça ? Le public serait-il aussi tolérant à l’égard de tout autre menteur usant du même genre d’argument (homme politique, grande entreprise…) ?
Le plus désastreux dans l’affaire, pour nous, est la réponse à question suivante : par sa réaction, quel message le public lance-t-il ainsi implicitement aux menteurs ? À nos yeux, cette réponse est évidente : menteurs, vous pouvez mentir effrontément si :
- (a) le mensonge porte sur des choses que les gens ont quand même envie de croire
- et/ou (b) en cas de mise à jour du mensonge, vous savez jouer la carte du pathos
(Ce deuxième point mériterait plus de recherches ; quel est l’aspect le plus convaincant ? Le fait d’avoir une bonne bouille ? Une image de bon père de famille ? De venir du monde du jeu vidéo ? De parler de ses problèmes de santé ou de sa précarité financière ?)
Nous ne savons pas quel élément de (a) ou de (b) a été le plus déterminant, ou bien si les deux sont de même poids, mais nous ne trouvons pas le résultat de cette analyse très rassurant. Du tout. Dans le vocabulaire de la microéconomie, nous dirions en effet que la situation crée une « incitation » auprès des menteurs, des charlatans et des vendeurs de rêve (en particulier, certains hommes politiques peu scrupuleux…) à raconter n’importe quoi, tant que (a) et/ou (b) sont vérifiés.
Et, surtout… Mais pourquoi/comment croire GussDx, maintenant ? Sérieux, le mec vous dit qu’il a menti une fois, et vous, vous le croyez, sans demander plus de preuve que ça ? Sans vous dire que vous allez davantage faire attention ? Demander des preuves pour tout le reste de ce qu’il a déjà fait ? Non, on ne change rien ?
L’image que nous donne son travail, à nous, c’est que la rigueur et l’honnêteté, c’est bon pour les autres. Sa révélation réduit à néant le peu de confiance qu’on aurait pu lui accorder. Plus grave : il ne nous livre aucun élément pour reconstruire la confiance, ou nous montrer en quoi on pourrait désormais donner du crédit à ses travaux. On doit se contenter de son « je n’ai jamais rien truqué à part cette fois-là, et ça ne se reproduira plus ». Bref, de belles paroles. Nous nous respectons suffisamment pour penser que nous méritons un peu plus que ça. Plus qu’une promesse ou un engagement. Un protocole de recherche, une démarche expérimentale carrée, l’accès aux rushes, un comité de visionnage, des expéditions en équipe avec des sceptiques, quelque chose. Mais non, rien.
Donc, comme avec la bonne science, tout peut être considéré vrai “jusqu’à preuve du contraire”. Sauf qu’ici, le “chercheur” ne fait aucun effort pour nous convaincre que le “jusqu’à preuve du contraire” vaut plus qu’un “jusqu’à ce que quelqu’un prouve mes trucages”.
Comment se porte aujourd’hui la chaîne de GussDx ? Très bien, apparemment. Les fans ne sont pas partis, alors pourquoi changer quoi que ce soit ? Pour l’honneur, la dignité et l’intégrité, on repassera.
(Note finale sur l’affaire, au sujet d’une autre classe d’individus : les fans sincèrement déçus. Mention spéciale au témoignage d’Anthony Augusto, qui respire bien davantage la sincérité que celui de notre GussDx-Cosette, et son message touchant, quoique foncièrement naïf, en mode « on peut étudier le paranormal avec éthique et intégrité, sans vouloir faire du sensationnel ». Non mais vous vivez où, les gars ? Comment pouvez-vous croire qu’un tel sujet fera autre chose qu’attirer des personnes à la moralité douteuse ? Le Far West attire forcément les mercenaires ! Si vous choisissiez d’évoluer dans un monde avec des règles et des lois, chacun serait soumis à la même rigueur ; il y aurait encore des tordus pour tenter des sales coups, mais il y aurait un cadre de fonctionnement de référence. Vous ne comprenez pas que, dans le domaine du paranormal et de l’ésotérisme, bref des recherches « en marge », ça va forcément toujours se passer comme ça, PARCE QUE les choses se font justement en marge de tout cadre ? C’est pour ça que les recherches scientifiques, elles, se font dans un cadre précis : la science n’est pas arbitraire ; une expérience de plusieurs siècles a fourni des méthodes pour justement se prémunir contre des situations comme ça ! C’est pas parfait, c’est long, c’est fastidieux, c’est pas sexy, mais c’est à ça que ça sert !)
2. Post-vérité en post-démocratie post-factuelle et post-politique
Que venions-nous d’observer à peu près à la même période ? Le vote du Royaume-Uni pour sortir de l’Union européenne, stimulé par la répétition éhontée de mensonges… Que les pro-Leave ont bien dû avouer, après coup, ne pas pouvoir défendre du tout.
Car non, le mensonge n’est pas anodin. Il peut manifestement avoir des conséquences massives. Suite à la chute immédiate du cours de la livre sterling, des centaines de milliards de livres d’actions se sont volatilisées en une nuit. Il est encore trop tôt pour déterminer si le Brexit sera néfaste ou pas pour le Royaume-Uni à moyen et long terme, mais la simple observation de la mine déconfite d’un Boris Johnson au lendemain du vote semblait indiquer que le clown agitateur de gros bobards ne pensait pas lui-même qu’on le prendrait au sérieux au point de le suivre jusqu’au bout dans son délire…
En parallèle, de l’autre côté de l’Atlantique, Donald Trump continuait à empiler mensonge sur mensonge ; y adhérer bêtement conduira-t-il (également ?) le peuple états-unien à un autre désastre ? Et, chez nous, Nicolas Sarkozy revient dans la course à la présidentielle, encore bien pire qu’avant, prêt à tous les reniements et tous les revirements – entre la volte-face sur le changement climatique et l’absurdité de « nos ancêtres les gaulois », nous sommes d’ores et déjà servis. Espérons qu’on n’ait pas à tenir jusqu’en mai (voire pire).
Il faut absolument lire cet article du monde sur la « politique post-vérité » (oui, malgré ce nom pompeux). Les faits, contrairement à ce que font mine de marteler certains, ce n’est visiblement pas ce qui compte : ce qui compte, c’est de se connecter émotionnellement aux gens. Et il faut voir dans la foulée la vidéo ci-dessus sur la stratégie de Trump ; par-delà son ton humoristique, elle illustre à merveille un phénomène cruel : que les affirmations du magnat états-unien soient vraies ou pas tant que, pour son auditoire, elles « feel » vraies. Et ce sentiment, cette émotion, suffit à justifier leurs prises de décision. On n’a plus besoin de faits réels quand on a depuis longtemps quitté le monde de la raison, de la vérité et de la réalité pour s’enfermer dans un monde de perceptions subjectives.
Comme par hasard, le fonds de commerce du gang des perruques blondes (Trump, Johnson, Grimault…), dont on vous parlait avant-hier, c’est la peur, la xénophobie, le rejet de la différence, l’égoïsme court-termiste, bref, populisme et démagogie qui flattent les bas instincts. Tous ces grands blonds avec des chaussures brunes, vaniteux et égomaniaques, savent manier les émotions de ceux qui les écoutent pour satisfaire leurs propres désirs de gloire, quitte à mener leurs moutons à l’abattoir.
Mais s’il faut prendre garde au gang des postiches (et aux petits agités pervers), il faut tout autant se méfier, visiblement, de la clique des chauves à bouc… Comme nous le verrons dans notre prochain article.
Auteurs : Maître Lupin