23 Avr 2012

Lecture à froid pour chambre froide

Publié à 0h25 par sous Mentalisme et hypnose, Psychologie, Scepticisme et zététique

Peut-on parler avec les morts ? Voir l’avenir dans une boule de verre, un jeu de cartes médiévales, ou même une main moite et calleuse ? Les pouvoirs “psi” ont-ils une quelconque existence ? Bref, le monde moderne abrite-t-il des individus extraordinaires, médiums ou voyants, capables de prédire le futur ou lire dans nos pensées ? Indépendamment de la réponse à ces questions, des méthodes reconnues permettent de faire croire au don de clairvoyance ; on les rassemble sous la notion de “lecture à froid” (cold reading). Pour présenter l’esprit et les techniques de cette discipline occulte, nous prendrons ici comme référence The Full Facts Book of Cold Reading, par Ian Rowland.

Je vois des gens qui sont morts cinématographiquement, ils ne savent même pas qu'ils sont morts !

Cela fait bien longtemps que la réalité des pouvoirs extraordinaires de ceux qui se proclament médiums ou voyants (astrologues, chiromanciens, tireurs de cartes, diseurs de bonne aventure, marabouts…) fait l’objet d’interminables controverses. Malgré l’accumulation de connaissances scientifiques et les progrès technologiques qui ont accompagné la marche de l’homme, la croyance en des capacités de cognition non explicables par la science (télépathie, visions du passé et de l’avenir) reste vivace. Les horoscopes qui continuent à polluer magazines télé et journaux gratuits ne témoignent certes pas d’un profond respect pour la rationalité (encore moins pour les lecteurs). Mais quand ceux qui sont censés “savoir”, nous guider ou nous éclairer, quand des individus supposément intelligents et éduqués remettent certaines de leurs décisions aux recommandations des voyants (François Mitterrand consultait notoirement Elizabeth Teissier, celle-là même qui prédisait que DSK connaîtrait “l’année de sa vie” en 2011), il est certain que le mauvais exemple vient d’en haut.

On désigne par “lecture à froid” un ensemble de techniques permettant d’influer sur notre perception par un tiers en lui donnant l’impression d’en savoir plus sur son compte que l’on ne sait réellement. A l’inverse de la fusion à froid, une théorie controversée à la réalité douteuse, la lecture à froid évoque donc une collection de pratiques reconnues permettant de faire passer des idées mensongères. Par définition, il est possible d’user de ses procédés pour imiter le type d’interactions qu’aurait un médium avec un client (pudiquement appelé “consultant” dans le monde de la voyance, puisqu’il demande à consulter). Tout individu peu scrupuleux qui maîtriserait la lecture à froid pourrait alors se vanter de disposer de pouvoirs paranormaux. Ce qui nous conduit à envisager deux positions vis-à-vis des médiums :

  • soit il existe des personnages extraordinaires doués d’un don de clairvoyance (ils n’ont donc pas besoin de lecture à froid pour apporter des réponses à leurs clients, et n’emploient pas du tout ces techniques dans le cadre de leurs “lectures”)
  • soit tous les médiums et voyants ne font qu’user – plus ou moins consciemment – des méthodes de la lecture à froid (au mieux, ils se trompent eux-mêmes en se leurrant sur la nature profonde de leurs interactions avec leurs consultants ; au pire, ils mentent effrontément, et méritent le titre de charlatan)

Nous laisserons chacun trancher sur ce point. Néanmoins, les trucs de la lecture à froid ont des applications bien au-delà du charlatanisme décomplexé ou de la voyance de spectacle (en effet, nombre de magiciens et mentalistes ne rechignent pas à quelques démonstrations de voyance s’appuyant sur leur connaissance de la lecture à froid). Par exemple, elles seront utilement mises à contribution dans le domaine de la séduction, la vente, ou même les interrogatoires criminels. Non sans que leur emploi ne pose au passage quelques sérieuses questions d’éthique.

La première surprise, lorsqu’on parle de lecture à froid, c’est que le sujet soit aussi peu connu du grand public. Vous-même, en aviez-vous déjà entendu parler ? Quand vous aurez pris conscience des potentialités de la méthode, le fait qu’elle ne soit pas davantage popularisée risque de vous paraître proprement incroyable. (Vous pourrez alors vous interroger sur les raisons de cette situation, puis vous demander à qui elle profite – tout cela sans verser dans la théorie du complot, si possible…)

Ian Rowland connaît le dessous des cartes

1. Un ouvrage de référence

Parmi toute la littérature consacrée au sujet, nous avons choisi de porter notre attention sur l’ouvrage qui peut être considéré comme la référence sur le sujet : The Full Facts Book of Cold Reading. Notre choix s’explique par les efforts de son auteur pour formaliser son matériau, introduire des règles et des classifications, et ainsi dresser de la discipline un tableau qui se veut à la fois exhaustif et synthétique. Fruit d’une longue expérience personnelle, la somme des résultats empiriques présentés dans le livre offre la description la plus complète et la plus équilibrée que nous ayons trouvée des techniques de la lecture à froid.

A la fin des années 90, en même temps qu’il travaillait en freelance dans l’écriture de documentation technique pour le secteur informatique, Ian Rowland développait ses connaissances de l’illusionnisme et du mentalisme. Il professait un intérêt tout particulier pour la lecture à froid, discipline dont il n’avait pas déniché d’ouvrage traitant le sujet de façon systématique. De plus, il s’interrogeait déjà sur la pertinence de la méthode dans le cadre d’autres contextes de communication. Il eut l’idée de compiler ses notes et de décrire ses propres techniques dans un livre qu’il améliora peu à peu (voir l’histoire officielle ici). Depuis, Ian s’est spécialisé dans le domaine et propose depuis 2007 une formation aux applications “éthiques” de la lecture à froid (Applied Cold Reading).

Callous reading : le retour de la main occulte

Le livre, dont nous n’avons pas trouvé de traduction en français, en est aujourd’hui à sa troisième version (il semble se vendre uniquement sur internet, à £20 la copie, mais le site annonce une rupture de stock – ainsi qu’une prochaine édition !). On y trouve :

  • une introduction générale à la lecture à froid (types de lectures, thèmes abordés, etc.)
  • un exposé des grands principes et points de présentation à ne pas négliger
  • des indications sur la mise en situation puis le séquençage d’une lecture
  • une liste des 38 éléments qui peuvent être mobilisés lors d’une lecture (affirmations sans risque, questions masquées, prédictions, etc.), répartis en 4 groupes, et des 11 façons de répliquer à une réponse négative
  • des retranscriptions de lectures réellement données par Rowland
  • une description des techniques de blocage
  • des exercices de réflexion sur les applications au monde la vente, la séduction et l’interrogation criminelle
  • ainsi que des conseils sur la façon de se comporter face à un sceptique ou, au contraire, en tant que sceptique, la manière de répondre à un bête “explique-moi donc comment il a pu voir ça !”

Rowland attribue aux 38+11 techniques des noms très colorés, et ne manque d’inclure d’authentiques exemples de formules alambiquées, ce qui rend la lecture tout à fait plaisante. Quant aux classifications proposées, si l’on pourrait les contester à la marge, le travail accompli est si robuste que nous n’oserons nous risquer à pinailler sur l’organisation générale. Sans trop entrer dans les détails, nous voulons exposer ici les grandes idées qui parcourent l’œuvre, enrichies de compléments glanés sur internet.

2. Définition et objectifs

“Cold reading is not primarily concerned with providing accurate information, howsoever obtained. It is about applying a deceptive strategy to appear to provide information, when in fact there is little or none to offer”

Ian Rowland, The Full Facts Book of Cold Reading

Pour l’auteur, la lecture à froid est une stratégie psychologique visant à tromper en donnant l’illusion que l’on en sait davantage que ce dont on a réellement connaissance. Plutôt qu’une simple procédure, la méthode recouvre un ensemble de techniques s’appuyant sur un certain type de questions et d’assertions, que Rowland choisit d’appeler “éléments”. De fait, le procédé pourra influer sur ce qu’un interlocuteur pense de nous et, partant, influencer comment il se sent auprès de nous. La lecture est dite “à froid” car elle est donnée en l’absence de renseignement préalable sur la personne de son interlocuteur, par opposition à une lecture “à chaud” effectuée après avoir recueilli des informations le concernant.

Avec la lecture à froid, Ian brûle les planches (de BD)

L’auteur prend soin de préciser que la question de la réalité des pouvoirs psi est hors du champ de son étude. Plutôt que de questionner frontalement leur existence, plutôt que d’accuser ouvertement les médiums d’exploiter la crédulité (vulnérabilité ?) de leurs clients (pigeons ?), Rowland se propose de montrer comment quelqu’un qui ne serait pas médium pourrait donner l’impression de l’être. Néanmoins, il ne fait pas mystère de son scepticisme, et la lourde charge à l’encontre des charlatans, ainsi que les sarcasmes dont il nous gratifie, laissent peu de doutes sur ce qu’il pense réellement de l’industrie de la voyance…

3. Le discours et la méthode

Un bon usage de la lecture à froid repose sur une combinaison de savoirs, de savoir-faire et de savoir-être.

a) Des savoirs

  • Une bonne connaissance de la nature humaine : tendances psychologiques naturelles (voir par exemple la pyramide des besoins de Maslow), profils psychologiques (MBTI, ennéagramme… Rappelez-vous ! Peu importe que ces théories soient tout à fait scientifiques, l’essentiel étant d’énoncer des idées plausibles sur le comportement des gens), expériences de vie largement partagées (ce qui fait le charme des séries Un Gars Une FilleBref ou How I Met Your Mother)
  • Des connaissances statistiques : rassurez-vous, il n’est nul besoin de savoir calculer des covariances, de réaliser des tests du χ² ou des analyses en composantes principales, mais d’avoir une idée de la répartition d’un certain nombre de caractères dans une population ou de la fréquence d’occurrence d’un certain type d’évènements (quels sont les prénoms les plus courants dans chaque génération ? combien d’individus ont-ils eu un accident en rapport avec l’eau dans leur jeunesse ? combien de nos arrière-grands-parents ont-ils eu au moins un membre amputé ? etc.)
  • En général, des connaissances sur les grandes lois de la vie et la nature (changements apportés par le cycle des saisons, contraintes et obligations sociales…)

On a dit lecture "à" froid, pas lecture "au" froid

b) Des savoir-faire

  • Savoir observer : si l’on parle de “lecture à froid”, c’est avant tout à cause de la lecture visuelle qui doit être faite du sujet. Posture, attitudes, gestes, expressions faciales et micro-expressions sont autant de signes qu’il faut apprendre à détecter et interpréter. Le langage du corps est d’une grande richesse pour ceux qui savent le décoder, et parvenir à percevoir les signes renvoyés par son interlocuteur s’avère déterminant (par exemple, une pupille dilatée signifie qu’on a fait mouche !)
  • Savoir écouter : l’écoute doit porter autant sur le fond (renseignements fournis par l’interlocuteur, souvent sans qu’il en prenne note) que sur la forme (intonation, hésitations…). Un bon auditeur laisse son interlocuteur parler autant qu’il le souhaite
  • Savoir parler et communiquer : le silence est d’or, puisque l’enjeu est de faire en sorte que l’interlocuteur parle de lui-même, en donnant l’impression que l’on en sait plus que l’on ne dit – et sur des choses que l’on ne devrait pas connaître. Cependant, quand celui qui mène la lecture prend la parole, son élocution doit être claire, son débit de paroles et son niveau de langage adapté à l’individu auquel il s’adresse. Ses messages doivent être compris, ses questions entendues (et ouvertes plutôt que fermées). Une touche de style et de mystère, une facilité à rendre poétique ou ésotériques les énoncés les plus insignifiants, contribuent efficacement à la qualité de la prestation
  • Savoir “dramatiser”, créer des ambiances et jouer la comédie : d’une lecture médiumnique, il faut faire une pièce de théâtre, prendre un air pénétré en déclamant son texte, fournir des descriptions pittoresques des scènes que l’on imagine… Pour instaurer une certaine atmosphère, il est également approprié d’utiliser un support (jeu de tarot, boule de cristal, main du sujet, ou tout simplement, en hommage à Sherlock Holmes, un objet lui appartenant). Par ailleurs, étudier l’objet donne le temps de réfléchir à ses prochaines répliques !

c) Des savoir-être

  • Confiance en soi : parler avec conviction donne de la crédibilité et inspire confiance
  • Synchronisation : imiter le langage corporel de son interlocuteur permet de se synchroniser sur ses états mentaux, et donc d’obtenir plus d’informations sur lui ; en s’alignant, on rassure aussi l’autre, lui signifiant plus ou moins consciemment que l’on est ouvert à ses explications, en harmonie avec sa personne
  • Empathie : la synchronisation passe également par la capacité à sentir à la place de l’autre. L’empathie sensorielle est très appréciée : “jouer” les émotions ressenties par l’autre (peur, tristesse…) produit un effet saisissant. Il importe de se montrer réellement intéressé par la vie et les problèmes de son interlocuteur

Tournesol l'a perdue depuis un bon moment

4. Déroulement d’une lecture

Pour plus de clarté, nous désignerons le personnage qui conduit la lecture à froid par le terme de “lecteur” ; son interlocuteur se verra qualifier de “consultant”. Les séquences d’une lecture s’enchaînent généralement dans l’ordre qui suit :

1) Mise en scène

C’est à ce stade que la dramatisation et le jeu sur l’ambiance sont à soigner, car ils influeront sur toute l’expérience du consultant. Cette étape vise à :

  • Encourager une atmosphère intime et apaisante. Par le choix des lumières (tamisées), des sons (pièce isolée de l’extérieur, bercée de musiques de relaxation) ou même des odeurs (les bâtonnets d’encens au fumet délicat), le lecteur met le consultant à l’aise et abaisse ses défenses. Calme et serein, ce dernier se montrera plus ouvert et plus réceptif, moins enclin à s’affirmer ou défier le lecteur. Le cadre privilégie la sobriété afin que le consultant se concentre sur l’expérience de lecture
  • Etablir la crédibilité du lecteur et de ses méthodes. Tandis que le lecteur se fait attendre, le consultant peut être placé dans une pièce où s’affichent les faits d’armes du personnage extraordinaire qu’il est venu voir : diplômes, prix… Les objets attestant du sérieux de son art sont mis en évidence (bibliothèque, objets de divination, etc.). L’arrivée du lecteur peut être annoncée par une tierce personne ; une fois celui-ci en présence de son sujet, il rappellera utilement ses succès, de sa voix ferme et assurée
  • Gagner la coopération du sujet. Le lecteur favorise l’idée d’une expérience partagée : le consultant a son rôle à jouer dans la séance ; il doit se montrer actif et collaboratif afin de décoder des paroles parfois obscures, et adapter ce qui lui sera dit à sa propre vie et à sa situation actuelle. Car, aussi incroyable que cela puisse paraître, c’est à lui de voir en quoi les paroles prononcées s’appliquent effectivement à son cas ! Non seulement c’est au sujet de travailler, en s’efforçant de faire coller les éléments de la lecture à son histoire personnelle, mais le lecteur dispose d’une excuse imparable en cas d’incapacité à lire correctement : c’est l’autre qui n’arrive pas à suivre et s’adapter !

Autre variante : certains tireurs de carte désamorcent immédiatement les critiques en prétendant que les cartes prédisent des choses claires, qu’il faut certes prendre en compte, mais qui n’ôtent pas au consultant l’exercice de son libre arbitre ! On se demande à quoi peuvent servir des prédictions qui ne prédisent pas vraiment…

Chouette, la voyance est aussi une histoire de boule !

2) Amorçage

Le consultant est progressivement immergé dans l’expérience de lecture ; au terme de cette phase, il doit se retrouver enferré, pris au piège de la dynamique du discours du lecteur. Pour atteindre ses buts, ce dernier commence par lancer des affirmations concernant la personnalité ou le caractère de son interlocuteur (premier groupe d’éléments décrits par Rowland). Voici quelques techniques parmi les plus pertinentes :

  • Le principe du chaud-froid (ou “Rainbow Ruse”) : il consiste à dépeindre le consultant comme étant doté à la fois d’un trait de caractère et de son exact opposé (“vous savez faire la fête, et vous avez le don pour mettre l’ambiance en soirée, mais il y a aussi des moments où vous ressentez le besoin de vous retrouver seul avec vous-même, de fuir le bruit et la fureur”). Une telle déclaration suscitera rarement le rejet, parce que les personnalités sont rarement stables (la tendance est à l’oscillation entre intraversion et extraversion) et qu’il est impossible de quantifier précisément ce qu’est “être introverti” ou “être extraverti”
  • La flatterie : le lecteur désarme le consultant et satisfait son ego à peu de frais en suggérant qu’il fait “un peu mieux que les gens en général” sur le plan d’une certaine caractéristique (honnêteté, indépendance, perspicacité…). Un lecteur malin privilégiera les qualités qui renforcent la collaboration : ouverture, réceptivité, voire même capacité intuitive à se connecter avec les autres (comme s’il était un peu psi lui-même !)
  • Les assertions de type “Jaques” ou “l’herbe est toujours plus verte chez le voisin” (Jacques and Greener Grass statements – il faudrait trouver des traductions originales aux expressions inventées par Rowland !) : ces énoncés jouent sur une connaissance des phases de la vie ou des expériences de vie par lesquels nous passons (presque) tous (“parfois vous vous rappelez des souvenirs de jeunesse, et vous ne pouvez vous empêcher de songer : mais qu’est-il arrivé à tous mes rêves d’enfant ?”)
  • Les affirmations basées sur l’effet Barnum : l’effet Barnum désigne un type de validation subjective par lequel nous en venons à accepter une vague description de la personnalité comme s’appliquant spécifiquement à nous-même. Le nom de ce biais provient de Phileas T. Barnum, le célèbre homme de cirque, qui se faisait fort d’inclure de quoi satisfaire tout le monde dans ses spectacles

Ce type d’assertions fait évidemment le bonheur (et la fortune ?) des auteurs d’horoscopes, mais prenez garde : on peut en croiser en bien d’autres endroits. Parmi les formations que les grands groupes proposent à leurs employés, il en est certaines qui s’appuient sur l’ébauche de leur profil psychologique. Nous avons connaissance des résultats d’une telle étude, produite en réponse à la question “quel type de manager êtes-vous ?” pour le compte d’une salariée d’une entreprise yaourtière bien connue, par un organisme de formation ayant (pourtant) pignon sur rue. Malgré la répétition incessante du doux prénom de la demoiselle en question, histoire qu’elle croie sincèrement à la personnalisation de son analyse, il faut le lire pour le croire :

  • “X aime rencontrer des gens ayant les mêmes opinions qu’elle, ce qui lui permet de raconter en détail ses expériences”
  • “X peut avoir des réactions émotionnelles excessives quand elle est stressée”
  • “X peut devenir pessimiste et sombre quand elle est contrariée ou qu’elle ne voit pas le moyen d’opérer des changements importants dans sa vie”
  • “X ignorera parfois les problèmes au lieu d’en rechercher les solutions”
  • “X a tendance à tirer des conclusions hâtives et peut agir à partir d’hypothèses qui peuvent se révéler fausses” (vivent les précautions de langage !)

Notre phrase préférée, un vrai grand moment de rire : “X gardera des souvenirs ou photographies de ces personnes avec qui elle a passé de bons moments” 🙂 ! Tout le reste est à l’avenant : les rares idées pertinentes, qui sont l’évidence même, se voient copiées à l’envi (“regardez, il y a quand même du vrai !”), sous des formulations qui multiplient synonymes et paraphrases de façon absolument éhontée : “X peut ne pas achever les tâches commencées”, “X peut passer, apparemment sans but précis, d’un travail à l’autre”, “X manque quelque peu de persévérance” – le tout en cinq lignes ! On ne pourra pas dire que vous ne saviez pas où part l’argent de vos yaourts.

Barnum PT(DR)

Outre les affirmations ayant trait au caractère, le lecteur invoquera des éléments portant sur les faits et les évènements de la vie du sujet (deuxième groupe) :

  • Les conjectures de tout type : des plus hasardeuses aux plus intelligemment adaptées à ce qu’on soupçonne de la vie de l’interlocuteur (“vous avez récemment perdu un être cher”)
  • Les évènements flous (Fuzzy Facts) : la situation décrite est tellement vague qu’elle offre une grande latitude dans l’interprétation. C’est ainsi qu’on explique le caractère “étonnamment prophétique” des prédictions de Nostradamus. Franchement, à les lire, on peut les interpréter un peu comme on veut : “anticipant” les attentats du 11-Septembre au même titre que l’élection d’Obamala cohabitation Chirac/Miterrand ou encore l’explosion de l’usine AZF à Toulouse, on ne peut pas dire que le bonhomme avait un sens des priorités très poussé ! L’apothicaire avait certes été à bonne école : il revendiquait entre autres procédés divinatoires le recours au “subtil esprit du feu” de l’oracle de Delphes.  Rappelons qu’Hérodote narre dans ses Histoires comment Crésus se fit embrouiller par les prédictions notoirement ambivalentes des oracles de Delphes (livre 1, chapitre 53). Le roi lydien hésitait à mener bataille contre les Perses ; les oracles consultés s’accordèrent sur une formule : le roi “détruirait un empire”. Ragaillardi, Crésus lança ses troupes, et détruisit bel et bien un empire : le sien. D’une façon ou d’une autre, la formule se serait vérifiée
  • Les déclarations insistantes (Push Statements) : intentionnellement conçues pour être rejetées de prime abord, ces assertions sont répétées avec une telle insistance (“mais si, je vois très bien une chaussure au talon cassé après une soirée trop arrosée, souvenez-vous donc…”), et les possibilités d’interprétation si subtilement étendues, que le consultant s’évertue à retrouver le souvenir d’un évènement passé auquel la situation décrite peut correspondre ; quand il y parvient, le fier lecteur est récompensé pour sa persévérance

Plus largement, l’une ou l’autre affirmation péremptoire risque tôt ou tard d’être contestée par le sujet. Rowland n’omet pas d’inclure les répliques possibles aux réactions de rejet. Pour s’assurer que le lecteur reste toujours gagnant (s’il tombe juste, il a raison, et s’il tombe à côté… il doit avoir raison quand même !), il peut notamment utiliser l’une des options suivantes : j’ai raison, mais…

  • vous avez oublié (“faites un effort de mémoire”)
  • vous ne savez pas / ne pouvez pas savoir (“votre famille n’a pas dû vous le dire…”)
  • c’est embarrassant (“il aura gardé ça pour lui”)
  • ça ne s’est pas encore fait (à l’inverse, dans le cas où le sujet explique qu’une des prédictions du lecteur décrit un évènement tout juste réalisé, ce dernier rebondira facilement : “ah oui, c’est bien ça, c’est ce que j’avais vu”)
  • j’ai raison sur le plan de vos désirs profonds, pas au niveau de ce qui s’est réellement passé (“c’est ce que vous vouliez, mais vous ne vous y êtes pas autorisé”)
Rompu à l’emploi des figures de style, le lecteur efficace saura également se tirer d’un mauvais pas grâce à son art consommé de la métonymie (“allez, c’est vrai dans les grandes lignes !”) :
– Je vois un problème au niveau d’un pneu de votre voiture…
– Ah ? J’ai été heurté par un autre véhicule, récemment, mais c’est la carrosserie qui a tout pris.
– Oui, exactement, un problème avec votre voiture, c’est ce que je vois…

Ajoutons que les phrases proférées lors de toute cette phase d’amorce sont rarement improvisées : mieux vaut être consensuel, ou s’appuyer sur une première observation irréfutable. Dans le cas d’une tentative de séduction, il est utile de chercher à justifier son affirmation à partir d’un élément observable chez son interlocuteur (que l’explication soit rationnelle ou non, au demeurant). Vous pouvez par exemple mobiliser un élément de sa tenue vestimentaire, de son langage verbal ou non verbal : “tu as l’air d’être une personne extravertie, parce que tu portes des couleurs vives”, “tu me sembles être de ces femmes qui savent ce qu’elles veulent, parce que tu fais des phrases concises et percutantes”…

3) Élagage et expansion

Par tâtonnement (ou “tir au petit plomb”), le lecteur a pu circonscrire les thèmes qui intéressaient particulièrement le sujet, et cerner quelques vérités le concernant. Complétant sa palette d’outils pour donner plus d’envergure à sa prestation, il introduit alors des éléments visant plus spécifiquement à recueillir de l’information de la part de son interlocuteur (troisième groupe d’éléments) :

  • Questions plus ou moins directes : de “on me parle d’un certain Jean parmi vos aïeux, qui est-ce ?” à “tout cela a-t-il du sens pour vous ?”
  • Questions masquées (Veiled Questions) : grammaticalement, les énoncés proposés ne sont pas interrogatifs (ils ne seraient pas écrits avec un point d’interrogation en fin de phrase, et sont prononcés sans que l’intonation ne monte), mais indiquent clairement qu’une validation ou une explication est attendue de la part de l’interlocuteur (“je pense que ceci est d’une signification particulière pour vous”)
  • “Négations fuyantes” (Vanishing Negatives) : phrases à la formulation et l’intonation ambiguës, elles permettent au lecteur de rebondir en donnant l’impression qu’il savait précisément ce qui allait lui être répondu, quelle que soit la réaction du sujet (après une question de type “vous n’auriez pas […], par hasard ?”, que la réponse soit positive ou négative, le lecteur pourra embrayer : “ok, c’est ce que je pensais”)

4) Prédictions

S’il le juge utile, le lecteur pourra pimenter son analyse du sujet en incluant quelques prédictions sur son avenir (quatrième et dernier groupe) :

  • Prédictions “Peter Pan” : elles donnent à entendre au consultant précisément ce qu’il a envie d’entendre (“vous serez bientôt installé dans cette nouvelle maison à la campagne, très heureux de votre nouveau chez vous”). Aussi, n’oubliez pas : amour, gloire et beauté, des mots qui font rêver
  • “Perles de Pollyanna” (Pollyanna Pearls) : appréciées du devin d’Astérix, elles suggèrent qu’après la pluie viendra le beau temps (“vous avez connu des périodes difficiles cette année, mais ces quelques cahots seront vite oubliés les prochains mois”)
  • Toute la gamme des prédictions certaines (car formulées sans limite de temps : “je vous vois faire face à un problème financier”), auto-réalisatrices (“vous gagnerez en confiance en vous”), à 50/50 (“cet examen ne fera pas apparaître de difficulté”) ou simplement probables (“dans les six prochains mois, les ennuis de santé de l’un de vos proches vous troubleront quelque peu”). Evidemment, si le lecteur choisit de documenter ses pronostics pour de futures démonstrations de ses capacités de voyance, il rappellera uniquement les résultats de celles qui se seront vérifiées !
  • Prédictions invérifiables, ou vérifiables dans le seul cas où elles se vérifient : redoutables, ces prévisions ne peuvent jamais être dénoncées, parce qu’elles courent indéfiniment (si elles ne comportent pas de limite de temps, le lecteur pourra toujours répondre “attendez encore un peu, et vous verrez bien”) ou parce qu’elles portent sur des éléments hors de la connaissance du sujet (“un ennemi échafaudera des plans contre vous, mais vous parviendrez à les déjouer sans même vous en rendre compte” ; encore plus drôle : “un ami songera à vous appeler pour vous communiquer des informations utiles à votre carrière, mais pourra se raviser à la dernière minute”)

Le bon augure

5) Conclusion et résumé

Avant de mettre fin à sa prestation, le lecteur gagnera à reprendre les points critiques du dialogue avec le sujet d’une manière qui soit très biaisée en sa faveur. Eludant ses échecs, il soulignera ses succès, et présentera également comme des réussites les “vérités” auxquelles il sera parvenu au prix de honteuses approximations. Par exemple, à l’étape 2, un voyant avait incorrectement identifié un problème avec les pneus de la voiture de son interlocuteur ; lorsqu’il récapitulera les apports de la séance, il n’hésitera pas à expliquer “puis j’ai décelé que vous aviez récemment eu des difficultés avec votre automobile”.

L’expérience montre que l’ “inception” fonctionne : le résumé faussé affecte bien ce que le sujet retient de la lecture et, partant, ce qu’il répétera à ses connaissances. De nombreuses études ont également montré que lorsque le sujet tentera de se remémorer la séance et de la narrer à ses amis, il attribuera plus de succès au lecteur que ce dernier n’en aura véritablement obtenu – un biais que les magiciens n’ignorent pas 😉 !

Suivant les applications de la lecture à froid, le séquençage proposé se décline ainsi :

  • charlatanisme privé : l’étape 2 est la seule possible dans le cas des horoscopes ou des lectures par courrier (le lecteur se contente de formules vagues et d’affirmations Barnum) ; dans le cas de séances de voyance complètes en face-à-face, toutes les phases doivent être respectées
  • charlatanisme public : lorsque le médium s’adresse à une foule de personnes vulnérables désireuses d’entrer en communication avec leurs proches, il lance des assertions dont il est très probable qu’elles auront du sens pour au moins un participant (“je vois un jeune homme décédé dans un accident de moto”) ; il suffit ensuite de mener de courtes lectures pour chaque personne isolée
  • usages hors du contexte du charlatanisme : pour séduire, réaliser une vente ou mener un interrogatoire criminel, toutes les techniques autres que celles ayant trait aux prédictions peuvent être employées (étapes 1 à 3)

Conclusion

“In the course of a successful reading, the psychic may provide most of the words, but it is the client that provides most of the meaning and all of the significance”

Ian Rowland, The Full Facts Book of Cold Reading

Que les pouvoirs “psi” existent ou non, la lecture à froid permet d’obtenir les mêmes résultats qu’un médium : impression de “connexion” avec une personne, capacité à donner des éléments spécifiques sur sa personnalité ou son passé, etc. En général, quel que soit le contexte, l’objectif d’une lecture à froid peut être de :

  • feindre d’en savoir plus que l’on ne sait (au besoin pour récupérer de l’information et/ou saper la confiance de son interlocuteur)
  • apparaître doté de qualités particulières (intéressant, agréable, perceptif, voire doué de pouvoirs extraordinaires) et influencer la perception que l’autre a de nous
  • créer un lien direct avec son interlocuteur, s’aligner voire se synchroniser avec lui

Contrairement à ce que certains auteurs laissent penser, la lecture à froid va bien au-delà (ah, l’au-delà…) de :

  • l’expression de généralités vagues, floues, qui s’appliquent à tout le monde (parfois au prix de quelques contorsions sémantiques) : l’imprécision a tout à fait sa place, notamment par le biais des affirmations basées sur l’effet Barnum, mais elles sont loin de suffire à expliquer le succès des lecteurs
  • l’analyse du langage du corps, le profilage et l’observation astucieuse : les raisonnements à la Sherlock Holmes, c’est bon pour la fiction, mais beaucoup plus douteux dans la vraie vie, parce qu’en toute rigueur, on peut trouver énormément de raisons expliquant une attitude, un geste ou un détail particulier (voir ci-dessous le cas de Casino Royale, dont l’ultime conclusion est quand même que 007 avait mal lu Eva Green, ou plutôt lu seulement ce qu’elle voulait qu’il croie…)
  • la “pêche aux indications” : la finesse tient justement à la façon dont l’information est récoltée dans le contexte d’une lecture

Pour une lecture à froid efficace, quelques grands principes sont à respecter :

  • mise en condition et coopération : le sujet doit se montrer réceptif et collaboratif, puisqu’il est censé renvoyer de l’information par les canaux verbaux et non-verbaux
  • positivité et flatterie : le lecteur doit accentuer le côté positif de la lecture, car rares sont ceux qui aiment à se voir dire des choses négatives par un inconnu
  • flou “artistique” et latitude interprétative : l’imprécision est volontairement entretenue, mais finement exploitée et stylisée
  • observation et rétroaction : les assertions proposées et les détails observés sont recoupés avec ceux révélés par le sujet
  • précaution oratoire : le lecteur privilégie l’emploi du conditionnel, et s’exprime en termes de possibilités et de potentialités plutôt que de faits et de réalités réfutables (“je sens que vous pouvez par moments…”)

Il nous reste à étudier pourquoi les techniques de la lecture à froid remplissent leur office, et comment les bloquer [voir l’article finalement publié : Il ne peut en rester que quelques-uns (au mieux)]. Mais avant cela, attendez-vous à un cas d’application très pratique. Tout est possible

 

Sources et liens pour aller plus loin :


Allez-y, c’est cadeau, mais sachez que c’est peu réaliste (et puis, on vous le concède, le phrasé de Daniel Craig n’est pas particulièrement limpide)

Auteurs :

Tags : , , , , , , , ,

Les commentaires sont clos.